Arranger en tenant compte du sujet du texte

Manuscrit autographe rédigé par Beethoven
Le texte qu’on vous fournit, bon ou mauvais, ne doit pas disparaître sous les arrangements. Il faut savoir se faire discret, mais aussi remplir les silences de la mélodie, les contre-chants ne doivent pas gêner l’interprète et sage précaution, merci de lui donner sa note après un solo, car il n’a pas forcément l’oreille absolue.
Si le sujet parle de la joie de vivre, vous éviterez les accords mineurs et le ton de Siβ mineur, que vous utiliserez plutôt si (il) elle a viré l’interprète hier soir pour toujours ou que son chat est mort la veille (de vieillesse).
Je pense notamment à l’insouciance des chansons de Charles Trenet et leurs arrangements jubilatoires.
Si le sujet est triste, par exemple Vole (A.C. Jean-Jacques Goldman pour Céline Dion), qui parle de la mort d’une enfant (ce n’est pas facile de traiter ce genre de thème), en l’occurrence, la nièce de Céline Dion, j’imagine mal un arrangement en style métal ou un rythme de salsa.
Au contraire, tempo lent, simplicité apparente, dépouillement des effets sonores donneront le résultat souhaité, pour aborder ce délicat thème de la mort d’une adolescente.
Lançons-nous dans l’analyse de cette chanson par l’écoute, une fois n’est pas coutume, plutôt que par la partition. En effet, vous allez entendre que la progression de l’intensité passe aussi par la table de mixage. Je vous propose d’aller sur le net et d’écouter ce morceau au fil de l’analyse qui suit ; il existe plusieurs versions interprétées par Céline Dion.
Vole vole petite aile
Ma douce, mon hirondelle
Va t’en loin, va t’en sereine
Qu’ici rien ne te retienne
Quitte manteau de misère
Change d’univers
Rejoins le ciel et l’éther
Laisse-nous laisse la terre
Vole vole petite aile
Ma douce, mon hirondelle
Va t’en loin, va t’en sereine
Qu’ici rien ne te retienne
Le couplet se déroule et tant dans l’arrangement que dans la manière de poser la voix, l’impression de sérénité et de plénitude transparaît : une tourne dépouillée jouée au synthé avec un son de piano électrique assez éthéré, accompagnant une voix toute en retenue, qui débute sur une harmonie de Mi9 sus 4, avec la quarte à la mélodie (A3), qui résoud déjà à la note suivante sur la tierce.
La seule évolution notable est que l’ingénieur du son monte le potentiomètre sur la voix du piano électrique, crescendo pendant les deux premiers couplets. Donc, pas d’artifice de changement d’intensité dû à l’arrangeur, tel qu’adjonction de masse sonore et multiplication de l’instrumentation, procédé habituel. Arranger, cela passe aussi par la table de mixage.
Vole vole petite sœur
Vole mon ange, ma douleur
Quitte ton corps et nous laisse
Qu’enfin ta souffrance cesse
Va rejoindre l’autre rive
Celle des fleurs et des rires
Celle que tu voulais tant
Ta vie d’enfant
2e couplet
Le niveau de l’accompagnement monte encore d’un cran et va toujours crescendo ; l’arrangeur a ajouté une plage harmonique aux violons synthétiques.
Pseudo-Refrain :
Vole vole mon amour
Puisque le nôtre est trop lourd
Puisque rien ne te soulage
Vole à ton dernier voyage
Lâche tes heures épuisées
Vole, tu l’as pas volé
Deviens souffle, sois colombe
Pour t’envoler
Très logiquement, non seulement par rapport à l’idée d’envol, mais aussi au choix des mots « vole », « deviens souffle », « sois colombe », la voix au refrain s’envole aussi, portée par l’intensité sonore que déploie l’interprète. Et pourtant, la mélodie est la même qu’au couplet ; mais elle est chantée à l’octave supérieure (A4).
C’est la combinaison de l’intensité sonore associée à un étoffement de l’instrumentation (un contre-chant aux violons synthétiques, une basse, un cor ou ce qui s’en rapproche au lointain) et la voix à l’octave supérieure, qui vont renforcer la puissance évocatrice des mots, en accentuer l’effet émotionnel qu’ils nous procurent, aidés aussi par la réverbération outrancière (le morceau est sorti en 1995 et ce n’est plus la mode comme dans les années 1980), qui est ici au service de l’idée et qui nous ferait presque voir un cortège d’anges accompagnant l’envol de la colombe.
De manière ultime dans le texte, l’idée « deviens souffle sois colombe » le souffle est lié à la double nécessité de la respiration de l’enfant, mais aussi du vent qui la porte vers la délivrance ; l’oiseau représentant la légèreté, la mobilité, permet de restituer à la jeune fille ce qu’elle n’a pas eu dans sa vie terrestre (difficultés respiratoires dues à une maladie génétique).
L’art de l’arrangeur et de l’ingénieur du son nous montre qu’il est possible de faire simple et efficace sans grand renfort d’artillerie (on aurait pu rajouter deux cents violons, des bois par quatre, un célesta, des roulements de timbales…).
Après un solo vocalisé de huit mesures accompagné par le piano électrique et les violons, l’atmosphère du 1er couplet est restituée dans un dernier demi-couplet qui fait retomber la sauce, la voix étant accompagnée du seul piano électrique :
Vole, vole petite flamme
Vole mon ange, mon âme
Quitte ta peau de misère
Va retrouver la lumière
La particularité de ce morceau est :
- qu’il n’y a pas de batterie pour soutenir le rythme
- que la mélodie est toujours la même du début à la fin du titre.
Donc pas d’alternance couplet-refrain.
L’idée, pour ne pas mourir d’ennui à l’écoute (efficacité oblige), est de procéder comme nous l’avons vu, à une gradation ascendante de l’intensité sonore – ne serait-ce que pour pallier l’absence d’accumulation des timbres – qui permet d’arriver à un point culminant, celui qui donne de surcroît à l’interprète l’occasion de mettre en valeur sa voix : vole vole mon amour puisque le nôtre est trop lourd…
Ce procédé évolutif qui contribue à donner un élan jusqu’à un paroxysme, un apogée, s’appelle le climax, qui est l’aboutissement de cet élan dramatique.
Le climax sera toujours suivi d’un apaisement, d’une résolution ; une tension permanente et irrésolue ne serait pas tenable ni réaliste.
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