LA VOIX TECHNIQUE
La voix chantée, même si elle emprunte ses éléments de base à la voix parlée, possède ses propres exigences :
chanter juste
Adapter l’intensité générale du morceau au style et pouvoir la faire varier au cours de l’interprétation.
Chacun sait qu’une voix éduquée peut chanter beaucoup plus fort et mieux moduler qu’une voix inculte, avec moins de risques et d’efforts.
La réalisation sans fatigue excessive des grandes intensités fait partie du bagage technique des chanteurs professionnels.
L’intensité se mesure à l’aide d’un sonomètre :
La voix de conversation se situe entre 55 et 65 dB ;
La voix projetée, entre 65 et 75 dB ;
La voix d’appel, de 80 à 85 dB ;
La voix criée de 90 à 110 dB ;
La voix d’opéra atteindra 120 dB.
La dynamique d’intensité s’amenuise lorsque l’on va vers les notes extrêmes.
Dans le grave, les notes extrêmes ne peuvent être émises que piano, tandis que les notes aiguës extrêmes ne sont émises qu’en forte.
Être capable d’émettre des sons qui s’étagent sur deux, voire trois octaves (notion de tessiture).
En règle générale, le chanteur de variétés n’a pas appris à chanter ; il utilise sa voix naturelle, qui est une voix spontanée, celle de poitrine.
Il ne s’encombre guère des changements de registre, qui s’effectuent sans grand souci d’homogénéité.
Cela peut se traduire par des « sons de gorge » néfastes pour la voix.
C’est la raison pour laquelle il finira par suivre des cours de coaching vocal, qui l’aideront à mieux placer sa voix et à en faire ressortir les spécificités.
C’est tout le contraire dans le chant d’opéra, où le chanteur va rechercher l’élargissement de sa tessiture, notamment pour « gagner dans l’aigu ».
Mais plus on monte vers l’aigu et plus il sera malaisé de produire les sons et de ne pas les déformer. Il a fallu trouver une technique qui permet d’émettre les voyelles, tout en conservant au timbre son ampleur et son homogénéité, afin d’éviter la « voix blanche ».
Ce procédé vocal s’appelle la couverture du son (voir notre article pour la définition).

Yma Sumac, la déesse inca aux 5 octaves
En montant dans l’aigu, la voix blanchit, c’est-à-dire qu’elle perd en harmoniques. La couverture est un moyen de rendre agréable la transformation du timbre sur une voyelle ouverte lors de la montée dans un registre.
Si un baryton chante la voyelle a de G2 à C3, de manière bien timbrée, sa voix va ensuite blanchir, c’est-à-dire se détimbrer sur D3-E3 et il va ressentir un rétrécissement laryngé à ce moment-là, car sa voyelle est trop ouverte.
Il va donc pratiquer, en montant, la couverture du son et abandonner sa voix ouverte pour adopter une voix couverte.
La couverture du son consiste donc à élargir la cavité laryngée pour sombrer la voix et changer le timbre de la voyelle.
Le son émis change alors de couleur, la voix devient plus sombre, plus riche en harmoniques graves. La voyelle précédemment ouverte devient fermée.
Physiologiquement, la technique procède en assombrissant la voix, par la combinaison du passage d’une forte descente du larynx, en même temps qu’une fermeture des voyelles ouvertes :
– l’a ouvert de patte se change en a fermé de pâte ;
– le è en é ;
– l’o ouvert (obole) en o fermé (dôme).
D’où une mauvaise prononciation, à partir d’une certaine hauteur.
L’interprète peut maintenant atteindre l’extrémité supérieure de son registre sans danger pour son larynx.
La couverture de son est un bon moyen de mélanger les deux registres, grâce à une modification de la couleur de la voyelle.
Cela permet d’utiliser un mécanisme « mixte » sur les notes aiguës, de fait en rajoutant des harmoniques là où ils font défaut.
À mentionner que le timbre de la voix n’est pas homogène sur l’ensemble de la tessiture ; on donne le nom de « registre » à l’étendue vocale sur laquelle le timbre est sensiblement le même et de « passage » aux notes sur lesquelles la modification du timbre est effectuée.
Le passage désigne donc la hauteur à laquelle la voix bascule d’un registre à l’autre.
La voix de l’interprète peut ainsi couvrir plusieurs registres séparés par plusieurs passages.
Le registre définit les différentes « étapes » de la voix, du grave à l’aigu ; pour le chant lyrique :
– deux chez l’homme : voix de poitrine et voix de tête/fausset.
– trois chez la femme : voix de poitrine, voix de tête, voix de flageolet.

Freddy Mercury et Michael Jackson, deux belles tessitures
CHEZ L’HOMME
Les deux registres extrêmes – mécanisme de poitrine et de fausset – sont complétés par celui intermédiaire de voix mixte.
– Le registre de poitrine :
l’homme parle toujours dans ce registre, la femme rarement.
Ce mécanisme est donc une partie fondamentale de la voix masculine en voix parlée et chantée.
On le nomme registre de poitrine, car les vibrations laryngées sont transmises à la cage thoracique par le biais des muscles abaisseurs du larynx et sont donc perçues par le chanteur au niveau de la poitrine.
En réunissant dans une même échelle les extrémités atteintes par les différents pupitres masculins, la tessiture générale se situe d’environ 65 Hz (C1 chez la basse profonde) à 349Hz (F3).
Le registre est très riche en harmoniques graves et aigus et l’intensité sonore augmente au fur et à mesure de la montée de la gamme.
Sur les sons aigus émis en voix de poitrine, la pression est telle que le mécanisme « disjoncte » et qu’il passe subitement en voix de fausset.
– La voix de fausset
est pauvre en harmoniques, l’intensité est plus faible et les variations de volume moins marquées.
Sa tessiture est très étendue, elle se situe du plus bas à 175 Hz (F2) jusqu’au contre-ut à 1046 Hz (C5).
Les sons bas, depuis le A2 jusqu’au D#3, sont difficiles à articuler et échappent au larynx masculin, bien mieux exercé à produire les mêmes sons en voix de poitrine.
Quelquefois, il peut commencer au D2, D#2, E2. Entre ces deux extrêmes, les interprètes sont en mesure d’utiliser le registre mixte.

La castrat FARINELLI
– La voix mixte
n’est pas un registre à part entière, comme la voix de poitrine ou la voix de fausset. Elle devra être travaillée lors des études de chant, car elle n’est pas naturelle. Ce que le son perdra un peu en éclat, il le gagnera en rondeur et en velouté.
La tessiture de la voix mixte est d’approximativement C2 à C4, mais elle peut varier en fonction de certaines voix.
Elle consiste, à l’exécution et à l’audition, en un compromis entre la voix de poitrine et la voix de fausset. Physiologiquement, on reste en mécanisme 1 (voix de poitrine), mais on utilise les résonateurs différemment. C’est donc un registre « coloré », qui va tenter de ressembler le plus possible à l’autre registre.
L’effet obtenu est une plus grande souplesse, un allégement du timbre (moins d’harmoniques, donc un son plus limpide, plus pur), tout en conservant une puissance honorable.
On peut ainsi continuer à monter avec douceur dans l’aigu, sans chanter à pleine puissance ou durement et sans réduire la voix, comme le ferait le passage en fausset.
La voix mixte a ainsi le mérite de rendre très peu audible le passage. Après avoir recherché la voix mixte dans le médium de la voix, on partira de cette zone résonancielle, pour l’élargir vers le grave et l’aigu de la tessiture rendue alors homogène.
La voix mixte assurera ainsi une unité vocale, par mixage des registres résonanciels. En effet, il s’agit de chercher à maintenir jusqu’au bas-médium les harmoniques aigus, qui enrichissent normalement les fréquences élevées de la tessiture.
D’autre part, les harmoniques graves privilégiés dans le registre résonanciel de poitrine devront enrichir le timbre du médium et du haut de l’échelle musicale. Ainsi, la voix mixte couvrira-t-elle la majeure partie de l’étendue vocale : les sons graves s’éclaircissant et les sons aigus gagnant en profondeur. Seuls l’extrême grave et l’extrême aigu seront émis sur un registre résonanciel pur de poitrine ou de tête.
La distinction entre voix de tête et voix de fausset diffère selon les théoriciens. En règle générale, le chanteur peu expérimenté, en montant vers l’aigu, basculera naturellement de la voix de poitrine à la voix de tête.
La locution voix de tête est utilisée par certains pour parler des sons au-delà du passage, donc l’endroit où la voix bascule naturellement en voix de fausset sur les voix non cultivées, qu’ils soient émis en pleine poitrine – donc couverts – mixés ou en fausset.

La Reine de la Nuit
CHEZ LA FEMME
– La voix de poitrine
existe également. Son étendue est plus courte que chez l’homme : pour schématiser, sur une voix ordinaire, de G2 à G3 ; pour une voix travaillée de G2 à A3 avec une limite extrême vers C# 4 pour les chanteurs entraînés.
Dans le grave, la limite extrême pourra atteindre C2 (rarement) ou Eb 2. Il est intéressant de constater que chez l’homme et chez la femme, le registre de poitrine coïncide dans les sons compris entre E2 et C4. Ce registre est mordant, plein d’éclat.
– La voix de tête
est le 2e registre, qui fera suite à la voix de poitrine. C’est la voix chantée naturelle des femmes et la voix parlée et chantée des enfants. Les limites de ce mécanisme léger sont environ une 10e, de A2 à C# 4. Plus les sons descendent après le D3 et plus ils vont s’éteignant ; au-dessous du A2, ils cessent de se produire.
Remarquons ici que cette même étendue appartient à deux registres, puisqu’on peut articuler tous les sons en voix de poitrine ou en voix de fausset (tête) indistinctement.
Ce registre est faible, couvert et ressemble assez aux sons bas de la flûte, principalement dans la partie inférieure.
Les femmes parlent généralement en voix de fausset.

LES DOUBLE-SIX DE PARIS
– La voix de flageolet
est uniquement présente chez la femme. Également appelé petit registre, c’est le troisième registre de voix de femme, dans le suraigu, au-delà de la voix de tête. Le nom provient d’un petit fifre un peu strident. C’est une partie distinctive et brillante de la voix. Il marque, à partir du premier son D4, les limites des deux registres précédents. Son étendue couvre, depuis le D4, jusqu’aux notes C5, D5, E5, F52.
Lorsque les femmes et les enfants poussent des cris aigus, ils font usage de la voix de flageolet. Les enfants perdent leur voix de flageolet à la mue. Cependant, quelques individus en conservent la 1re tierce Majeure.
– La voix mixte
Elle est aussi présente chez la femme, avec une tessiture qui embrasse A2 à C5.
Ces classifications, malgré tout artificielles, sont en général admises pour aider à situer les caractéristiques vocales.
Cependant, la véritable question sera de découvrir la voix mixte, qui mélange à des niveaux divers les composantes des deux mécanismes fondamentaux.
En effet, les étendues tonales des deux registres extrêmes se chevauchent et ainsi, certaines notes pourront être émises grâce à une batterie de mécanismes intermédiaires, en fonction des variations d’intensité et de timbre.
Mais alors que le chant « classique » s’attachera à gommer les passages pour optimiser l’égalité de la voix sur tous les registres, la chanson s’y attellera moins et l’extrême, en opposition de timbre, sera précisément atteint avec le chant tyrolien (le passage brusque en voix de fausset est d’ailleurs le principal effet recherché).
On peut semblablement trouver cette opposition dans l’effet obtenu par l’autotune.

Cher, 1re chanteuse pop à avoir utilisé l’autotune, bien avant les rappeurs
Le volume sonore de la voix chantée n’a pas trop d’importance dans la chanson, qui utilise un micro, contrairement au chant lyrique. Cela dit, la portée de la voix dépendra moins de son intensité que de son timbre.
Quant aux variations de volume, qui ont toute leur importance, elles ne pourront s’obtenir que grâce à un travail vocal spécifique avec un professeur. En effet, les mécanismes mis en jeu vont conditionner la dynamique des nuances expressives, du plus petit pianissimo au plus grand fortissimo.
L’interprète devra toujours veiller à rester intelligible, notamment dans l’aigu où il est plus délicat de bien prononcer les sons. D’autant plus que, contrairement au langage parlé, la durée des voyelles, qui correspond en général à la note émise, sera largement allongée par rapport à celle de la consonne ; de fait, cela rend le texte moins intelligible que s’il était simplement lu.
LA VOIX DU CHORISTE

Choeur Edwin Hawkins
Elle sera souvent une voix naturelle, non travaillée. C’est une voix chantée spontanée utilisable individuellement dans un choeur ou une chorale. Se posera alors la question de la justesse, dans la mesure où pousser la cantilène dans sa baignoire ne nuira qu’aux poissons rouges qui y barbotent, mais chanter faux au milieu d’autres chanteurs va s’avérer redoutablement contagieux.
On devra donc particulièrement soigner les sons piano, les notes aiguës et les fins de phrase ; un perfectionnement vocal par le travail s’avérera utile.
Souvent, les choristes emploient des procédés d’escrocs, ils vont utiliser un mécanisme vocal « préférentiel » :
– Les sopranos vont chanter avec une petite voix de tête – donc pas timbrée – et sans volume.
– Les altos utiliseront une voix de poitrine et auront tendance à chanter avec un timbre lourd, marqué, qui deviendra rapidement dur dans les aigus.
– Les hommes resteront en voix de poitrine, mais effectueront un brusque saut en voix de fausset entre D3 et F3. Le pire de l’histoire est que le plus souvent, pour éviter la cassure,
ils repoussent inconsciemment ce moment et « forcent » donc les aigus.
Le plus pénible se produit chez les ténors, qui jouent au yoyo entre le mécanisme de poitrine et celui de tête et font perdre à l’émission vocale toute homogénéité.
Il faudra que tout ce beau monde se mette au diapason (c’est le cas de le dire) et qu’il utilise le mécanisme mixte, afin d’arriver sans effort à chanter dans l’aigu et à moduler les intensités.
Ces précisions sont importantes pour nous, arrangeurs, dans la mesure où nous devrons tenir compte de toutes ces faiblesses si nous voulons écrire des arrangements pour une chorale d’adultes ou d’enfants.
Par exemple, le timbre vocal de la majeure partie des choristes n’est homogène ni sur les voyelles ni sur l’ensemble de la tessiture.
Ce n’est pas trop grave pour un choeur fourni, car les différences de timbres et d’hétérogénéité se compensent avec la masse. Je serais donc plus prudent avec un ensemble réduit.
Pour l’intensité individuelle de chaque chanteur, la question se pose moins, le volume sonore sera atteint par la masse du nombre de sujets.
Je devrais en revanche prêter attention, lorsque je les dirigerai, à surveiller (du fait de leur défaillance en technique vocale) les changements de nuances qui risqueront d’altérer le timbre et la justesse ;
en effet, respectivement, les sons chantés forte seront durs dans les aigus, et les sons piano seront détimbrés et chantés trop bas.
LES ENFANTS
Leur voix chantée sera comme leur voix parlée. Dans leur plus jeune âge, la tessiture tient dans un intervalle de quarte, voire de tierce (c’est pour cela que les comptines ne dépassent guère cet ambitus) et ils chantent faux. Avec l’expérience, la tessiture s’élargit et les notes deviennent plus justes. Vous n’aurez pas trop le choix avec un enfant. Il chantera comme il parle :
– soit en voix de tête avec un timbre léger.
– soit, si la voix parlée est « grave », en voix de poitrine, plutôt rauque et il montera mal, forcera et détonnera.
Lorsqu’a été arrangé Porgy & Bess pour les chorales des collèges de l’Essone, il a fallu tenir compte de tous ces paramètres.
Les voix d’enfants étant dénuées de vibrato, cela confère à la chorale un caractère de pureté et de fraîcheur indéniables.

Adele, une voix chargée en harmoniques
Résumé
La voix de poitrine chez l’homme dépasse par les sons graves celle de la femme.
La voix de fausset leur est commune.
La voix de tête chez la femme excède celle de l’homme.
On voit que nous avons indiqué deux ou trois sons pour limite extrême de chaque registre, parce que les organes sont élastiques et ils offrent constamment cette fluctuation.
La voix humaine considérée comme elle vient de l’être, dans toute l’étendue possible de ces trois registres, montre dans la pratique une application plus restreinte ; en effet, ces registres ne sont pas tous d’un emploi également naturel pour toutes les voix indistinctement et les limites extrêmes de chacun sont d’un usage toujours fatigant et abordable à peine pour quelques artistes.
Conclusion
Toutes les généralités et les spécificités que nous avons décrites dans ce chapitre sont applicables aussi bien à la pop qu’au rock, aux variétés et à la chanson française.
La voix, avec sa conformation et ses caractéristiques, est capable de servir tous les styles de musique. Il est malgré tout moins primordial, dans le domaine non lyrique, de rechercher la performance.
Cependant, les chanteurs dits « à voix » voudront toujours faire de l’effet et ils cultiveront la prouesse dans les aigus, pour s’attirer les faveurs du public, friand de ce genre d’exploit vocal. C’est là un phénomène normal, puisque la chanson a besoin d’ingrédients pour exister et vivre.
Extrait du Volume V, Traité de l’Arrangement
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