LES INGRÉDIENTS DE LA CHANSON

 

GÉNÉRALITÉS

 

Le récit

 

Les histoires n’ont guère varié avec les époques, l’on chantait, l’on chante et l’on chantera toujours l’Amour, la Haine, l’Espoir et son contraire, les chansons qui font réfléchir et les chansons idiotes, les chansons vulgaires et les chansons dignes, les chansons poétiques et les chansons sans aucune prétention littéraire.

Un bon texte rejoindra le même objectif que celui de la mélodie : des paroles certes bien tournées, mais point trop savantes et qui chercheront à émouvoir, attendrir, exciter, enflammer le plus grand nombre.

Que la chanson soit militaire, d’amour, d’enfants, qu’elle soit plus rythmique ou plus mélodique ou dotée d’un gimmick qui la singularisera pour toujours, ce sera l’interprète qui la portera, la mettra en valeur (ou l’inverse, c’est selon.)

 

Le chanteur

Qu’il soit simple interprète ou Auteur Compositeur Interprète, il aura le dernier mot sur la popularité de la chanson. Mais l’on peut se demander si c’est le tube qui fait l’interprète ou le contraire. Peut-être un peu des deux ?

Il ne faut pas se leurrer, sur les quelques dizaines de milliers de chansons écrites, seules certaines deviendront des tubes et l’on ne sait jamais trop pourquoi.

Disons-le tout de suite, je ne connais pas la recette pour qu’un morceau devienne à coup sûr un tube ; mais je connais les trucs qui lui donneront toutes les chances d’en devenir un (c’est ce que nous verrons dans notre chapitre sur Quincy Jones). D’ailleurs, Quincy Jones, qui n’était pas devin en la matière, avait pronostiqué – à tort – que « Thriller » se vendrait bien moins qu’« Off the Wall » du même Michael Jackson (à ce jour, Thriller est toujours le 1er album en matière de ventes mondiales).

 

Le personnage et son image

Le chanteur de variétés fait lui-même partie intégrante de la chanson qu’il chante, au titre de son « personnage ». On pensera toujours en matière de triptyque paroles-musique-chanteur.

Au lieu de composer un rôle, le chanteur devient un personnage où viennent se confondre sa propre histoire et celle qu’il chante. Musique, texte et personnage sont conçus comme des mélanges expérimentaux fondés sur le savoir-faire de tous les intervenants, y compris du directeur artistique.

 

Si l’image que veut donner de lui le « personnage chantant » est convaincante, le public le cataloguera et il n’aura plus intérêt à s’en éloigner. Ce que véhiculait à ses débuts le chanteur Renaud, une pointe de loubard un peu contestataire, ne lui aurait pas permis, lorsqu’il a évolué un peu plus tard dans sa carrière, à se présenter au public comme un chanteur pour midinettes.

 

Sur le plan visuel, la physionomie de l’artiste, son maintien, sa démarche, sa tenue vestimentaire, ses mimiques ont au départ une fonction expressive analogue à celle de sa voix. Il faut qu’il intrigue, qu’il force l’attention, donne aux gens qui le rencontrent envie de le connaître sur une simple impression visuelle.

Le « magnétisme » de la vedette doit, au moins à l’état embryonnaire, préexister au succès lui-même et aux techniques qui vont le développer.

La qualification que les variétés introduisent entre la vérité sociale d’un artiste et le désir d’identification du public est l’essentiel du travail du directeur artistique.

Ce lent processus doit se laisser envahir par l’extérieur social et médiatique sous toutes ses formes : actualité des médias, imaginaire du public, mode, évolution de l’univers du show-business et de la chanson, état des rapports humains de production du disque (compétence des spécialistes, gestion des techniques musicales et sonores, communication aux radios et au marché).

Cette division du travail détermine en effet le langage des variétés : l’ensemble de mots, de sons et d’images à travers lequel le public aime ses idoles. Le personnage, c’est, souvent à d’infimes nuances près, sans lesquelles quelque chose sonne faux, la projection commune de la réalité du chanteur et de celle du public sur l’écran des variétés. Seule la reconnaissance du public assurera le succès durable du chanteur.

On peut vendre une chanson sans vendre le personnage, mais on ne fera pas carrière avec cela.

Inversement, la chanson sans le personnage ne vaut pas grand-chose sur le long terme.

 

Madonna Avant

Madonna Après

 

 

 

 

Madonna a lancé sa carrière sur de bons titres, mais aussi sur un personnage à caractère érotique sulfureux. Elle n’était peut-être pas comme cela dans la vraie vie, mais l’essentiel a été que le public y croie.

 

 

La forme musicale 

La construction d’une chanson a atteint un certain degré de formalisation :

L’introduction

En quelques mesures, elle sert à la fois de signal pour que l’auditeur reconnaisse aussitôt la chanson et d’avant-goût qui la lui fasse désirer. « L’intro » en dévoile assez pour suggérer l’ambiance : le son, le rythme, le caractère.

Elle en dissimule assez pour nous exciter l’appétit sans nous rassasier. Dans ce but, elle utilise des idées morcelées, mais caractéristiques : un fragment de mélodie, un enchaînement harmonique interrompu, un mélange de timbres, un dessin rythmique fugace.

Un directeur de maison de disques affirmait : « l’introduction est simplement un signal sonore pour dire attention, les mecs, c’est tel titre ! »

En fait, la chanson, c’est presque gagné sur l’introduction, qui n’a rien à voir avec la mélodie. C’est là où l’intelligence de l’orchestrateur joue : très souvent, il faut bien le dire, l’accompagnement assure la réussite d’un titre.

L’alternance couplet-refrain

Dans les couplets, la musique s’efface derrière le texte pour faire progresser l’histoire.

Le refrain, plus musical, s’inscrit inéluctablement dans la mémoire, avec sa mélodie dont le retour régulier est attendu.

Sa répétition rythme la carrure de la chanson et provoque d’autant mieux le plaisir que les couplets plus « ternes » l’ont mieux fait désirer.

L’arrangement souligne cette opposition, en enrichissant de diverses manières le refrain : entrée d’instruments absents des couplets, progressions harmoniques plus denses, isolement d’un point culminant, appelé le climax, dont la résolution fait aspirer au calme du couplet suivant.

 

L’écriture musicale

 

La mélodie

Elle n’est rien sans le reste. L’arrangement se charge de donner sa valeur musicale à la mélodie, alors que lui-même reste dans l’ombre. Ne vous y trompez pas : lorsque vous sifflotez la seule mélodie, croyant tenir là, à bon compte la source de votre plaisir, c’est en fait l’accompagnement, pourtant absent, qui donnera sa force au retour de la mélodie dans votre conscience.

 

La base

ROCK                                                           versus

MENUET ?

 

 

C’est la rythmique, sans laquelle une chanson serait comme un corps dépourvu de squelette. Toutes les musiques de variétés sont, vous l’aurez remarqué à base de danses :

rythme de tango, de slow, de valse, de salsa, de rock, comme il fut un temps où les musiques populaires, avant « l’invention » des variétés, étaient des gigues, des bourrées et des menuets.

Il est donc essentiel de trouver une pulsation et un « son » qui prennent « aux tripes », dont le mélange retrouve chez l’auditeur une résonance corporelle fondamentale, irrésistible.

L’habillage orchestral

Il regroupe les cuivres, les cordes, les chœurs et les synthés, qui dessinent entre le chant et la rythmique des contre-chants instrumentaux qui habillent et ornementent l’ensemble et le font évoluer.

Les variétés s’écartent ici de l’esprit du jazz, où l’habillage y est soit inexistant, dans les petites formations, soit limité dans les orchestres par l’absence des cordes et l’écriture très rythmique en riffs des sections de cuivres.

Les variétés  se rapprocheraient plus du « classique » : dissimuler les arrangements derrière des apparences familières ; combiner des paramètres superposés qui conservent, indiscernables, leurs fonctions séparées, plutôt que permettre leur fusion ; attirer l’oreille vers des détails décoratifs étrangers au déroulement de la chanson, comme si celle-ci voulait éviter d’être consciemment perçue et posséder l’auditeur sans qu’il en ait vraiment conscience.

L’arrangement est propice aux emprunts aux autres genres (notamment au classique), avec ses « trucs » d’écriture, ses effets de plume où l’arrangeur talentueux va capter l’attention ici et là, pour aussitôt la soustraire et l’appeler ailleurs.

L’un de ces effets isolés est assez systématique pour avoir reçu un nom : le « gimmick », petite sucrerie sans rapport avec la mélodie.

Le gimmick  –  truc  ou  astuce en Anglais,  décore la chanson et en accentue sa spécificité.

Un rythme, un petit solo d’instrument récurrent qui vont charmer l’auditeur, faire plaisir lors de son retour et permettre ainsi de retenir toute la chanson.

Les effets employés dans les arrangements remplissent l’espace sonore, qu’ils rendent plus ou moins dense ou clair, mais en tout cas identitaire.

Cet espace sonore souligne la construction de la chanson, il est plus important que les notes elles-mêmes et les harmonies, choisies dans un éventail assez simple.

 

Article extrait du Volume V, Traité de la Chanson & Traité du Parolier.

 

Par Jean-Loup Cataldo le 10 février 2018

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