Les accords altérés : les accords de sixte augmentée ou bVI
La sixte augmentée traverse toute la musique occidentale tonale. Écoutez Bach, Mozart, Fauré, les Beatles, Jerome Kern…
Il faudra retenir à l’issue de cette étude l’importance de sa fonction d’emprunt à la dominante.
Ces accords altérés résolvent sur le V7 et ont donc fonction d’accords de sous-dominante.
Petit préambule
Il existe deux formes d’intervalles altérés :
Ceux qu’on trouve à l’état normal, de manière naturelle et intrinsèque à la gamme Majeure ou la gamme mineure harmonique.
Par exemple, dans la gamme Do Majeur, si-fa est une quinte diminuée.
Dans la gamme Do mineur, lab-si est une seconde augmentée, ré-lab est une quinte diminuée.

Le petit Jerome Kern
Dans les questions aux examens, on vous apprend que cette sorte d’intervalle, à l’état naturel, ne pourra se retrouver qu’à tel endroit.
Une question type du style « en Do mineur, sur quel degré prendra-t-on appui pour une quarte diminuée ? » eh bien sur la sensible, pardi ! si-mib.
Seront considérés comme « non naturels » – car ils ne se trouvent pas dans la gamme majeure ou mineure harmonique – tous les autres intervalles altérés que vous pourrez rencontrer.
Un des plus important est l’intervalle de sixte augmentée.
Amusez-vous à dénombrer dans les deux gammes la nature des sixtes, vous ne rencontrerez que des sixtes Majeures ou des sixtes mineures.
Pour augmenter une sixte, il va donc falloir employer une note étrangère à la gamme.
On va placer cet intervalle sur le 6e degré mineur de la gamme, dans ce que nous allons définir comme un accord de sixte augmentée, lequel aura pour fonction de précéder l’accord de dominante pour le renforcer.
Donc, une petite question de prof d’harmonie :
« Si je place un intervalle do-la# dans un accord, je suis en quel ton ?»
« Ben, en mi mineur, m’sieur ! »
En analyse « moderne », on pourrait qualifier l’accord de sixte augmentée comme un V de V altéré et il a donc fonction de dominante secondaire.
Certains théoriciens vous diront que c’est un accord du 4e degré mineur en renversement de sixte avec fondamentale rehaussée d’1/2 ton, notamment pour la sixte italienne.
Exemple en Do mineur : V de V (Ré) – V (Sol) – I (Do). Cet accord de Ré altéré aura pour basse lab.
N’oublions pas qu’en Do mineur, la sixte placée « naturellement » sur la gamme est Majeure (lab-fa).
Pour altérer cet intervalle, il suffit de hausser le fa d’un demi-ton.
L’intervalle obtenu lab-fa# est une sixte augmentée.
À ne pas confondre avec un intervalle de 7, même s’il sonne pareil.
Ce fa# est plutôt considéré comme la note sensible de l’accord de dominante qui va suivre.
Il va donc résoudre sur la note sol par mouvement obligé, sauf cas exceptionnel.
LES TROIS ACCORDS DE SIXTE AUGMENTÉE
La sixte augmentée est placée dans l’accord du même nom. Elle restera immuable, alors que l’accord prendra trois habillages possibles, qui auront pour nom :
-
accord de sixte italienne (chiffré #6),
-
accord de sixte française (chiffré 3-4-6#)
-
accord de sixte allemande (chiffré 5-6#).
Allez savoir pourquoi, on doit cette terminologie aux Anglo-Saxons, qui ont pourtant assez d’oreille (en fait, deux, comme nous) pour s’apercevoir que Bach utilisait des sixtes françaises, Gounod des sixtes italiennes et Rossini des sixtes allemandes !

Le gentil Rossini
La sixte italienne
Cela pourrait vous paraître étrange qu’un accord du IVe degré, par exemple Fam en Do mineur, fasse état d’un Fa#. Mais il faut considérer cette approche comme étant purement mélodique.
C’est un peu une réminiscence de la cadence à double sensible en usage au XIIIe siècle, avec les règles de conduite des voix polymélodiques (musique médiévale). La cadence de cette époque est d’ailleurs nommée « cadence à double sensible » :
Nous verrons dans un autre post comment l’évolution s’est poursuivie dès le XIVe siècle pour lentement aboutir à la verticalité des accords parfaits et de leurs renversements et a fortiori, à l’articulation cadentielle V-I.
La sixte italienne, par rapport aux sixtes allemandes et françaises qui ont 4 notes, n’en a que 3 :
Les qualités musicales de ces sixtes sont déterminées par l’usage. Nous avons vu que l’Italienne est foncièrement mélodique et tend vers un accord de sous-dominante augmentée.
La Française et l’Allemande
Elles sonnent plutôt comme un accord V de V (II7) dont on a abaissé la quinte, qui se retrouve donc à la basse de l’accord.
Fonctionnellement, on chiffrerait donc :
II7 b5 la Française
II7 b5/b9 l’Allemande
Mais Intrinsèquement, cela donne respectivement :
bVI7 b5 la Française
bVI7 l’Allemande
La résolution de la sixte allemande est particulière car elle n’aboutit en général pas sur le V7, qui engendrerait un mouvement de quintes parallèles.
On la résout donc directement sur le premier degré mineur. Je rappelle qu’en « classique », cette succession de quintes est jugée « dure ».
Shoenberg, dans son traité d’harmonie, explique cela par le fait qu’une succession de quinte affaiblit la tonalité, à cause du déplacement du pôle tonal initial, le ton de base devenant alors instable.
Bien entendu, cela ne s’applique pas à la musique du petit Debussy, qui en a fait son cheval de bataille.
• Ceci dit, le trajet bVI7-Im (ce Im se chiffre obligatoirement en 6/4, dit accord de quarte et sixte en classique et Im/bs. 5 en jazz) permet des circonvolutions intéressantes puisqu’il va affirmer deux fois la tonalité de base, en passant donc de bVI7 vers Im, ce Im ira sur le V7 et ce V7 sur le Im.
Nous n’allons pas rédiger un traité, mais nous le pourrions bien !
Tant et tant reste à dire sur les sixtes augmentées, qui feront certainement l’objet d’un rajout ou d’un autre post.
Par exemple Schoenberg qui considère la sixte augmentée comme une transformation du IIe degré. Mais c’est une autre histoire…

Schoenberg
Voici, pour clore ce petit chapitre, un choral issu du 20e prélude de F. Chopin, avec une belle sixte ajoutée et je vous laisse deviner sa nationalité ! (mes.2, 2e temps)
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